Publié : 3 juin 2016 à 18h17 par Anthony MARSAIS
« J'ai eu mal d'entendre des gens de ma génération crier "Mort aux patrons" »
Le Centre des Jeunes Dirigeants avait convié 650 personnes ce jeudi soir au théâtre Graslin à Nantes. La soirée était censée mettre en valeur des héros anonymes et deux fondations. Finalement, des intermittents et militants CGT se sont invités dans le hall du théâtre. La soirée a été annulée. Déçu et amer, l’un des organisateurs, Antoine, leur adresse aujourd’hui une lettre ouverte.
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Antoine est membre du Centre des Jeunes Dirigeants, un mouvement patronal apolitique créé en 1938. Le CJD compte aujourd'hui plus de 4 000 chefs d'entreprise et cadres en France, dont 130 à Nantes. L’association organisait cette soirée à Graslin afin « d’écouter des personnes qui dans leur vie œuvrent dans le silence, autour de messages forts, avec vocation de pousser chacun à faire ce pas de plus qui peut-être transformera le monde. » Philippe Pozzo di Borgo, auteur du livre Le Second Souffle qui a inspiré le film Les intouchables, et Frédérique Bedos, fondatrice de l'ONG Projet Imagine, devaient tous les deux intervenir. Des fonds devaient être versés à deux fondations, Simon de Cyrène et Projet Imagine. Faute de soirée, pas de fonds. Ni d’échanges.
Voici la lettre ouverte adressée par Antoine, l’un des organisateurs de cette soirée. Lui-même est dirigeant d’une PME.
« Et dire que nous attendions ce jeudi 2 juin 2016 depuis des mois… Et dire que nous nous réjouissions de faire partager à 600 personnes les messages d’espoir de nos intervenants, Philippe Pozzo di Borgo et Frédérique Bedos, le tout dans ce lieu magique qu’est le Théâtre Graslin. Et dire que vous avez tout gâché…
« Vous »… Oui je parle de vous : hommes, femmes, intermittents, membres de la CGT qui avez pris en otage hier soir le théâtre Graslin car vous ne vouliez pas voir le Théâtre Graslin « privatisé » par des entrepreneurs… Je me contente de reprendre vos mots.
Depuis plus d’un an, je préparais, entouré d’une équipe issue du Centre des Jeunes Dirigeants, une BELLE soirée qui avait pour vocation de mettre en lumière les héros anonymes, des gens ordinaires devenus extraordinaires en ayant su faire face à des obstacles, au handicap. Les recettes de la soirée allaient d’ailleurs être reversées intégralement aux fondations de nos invités. Nous sommes quand même bien loin du « Grand Capital » non ?
"Nous voulions mettre en avant des Héros Anonymes"
Le CJD tente depuis des dizaines d’années de mettre l’homme au centre de l’Entreprise. A titre personnel, à 35 ans, j’essaie modestement de gérer mon Entreprise avec les valeurs humanistes véhiculées par le CJD mais hier soir, personnellement, j’ai eu mal :-Mal d’entendre des gens de ma génération crier « Mort aux patrons »-Mal de voir des femmes et des enfants être bousculés et maltraités par quelques énergumènes incapables d’expliquer la véritable raison de leur présence.-Mal de voir d’autres « manifestants » piller les sacs contenant les maigres cadeaux destinés aux 600 invités de la soirée.-Mal de voir une personne lourdement handicapée être moquée par un petit groupe de « manifestants » fortement alcoolisés.
Le bilan de la soirée ? Un incroyable sentiment de gâchis. Nous voulions mettre en avant des Héros Anonymes, ils ont été remplacés par une poignée d’individus loin d’être des héros mais qui auraient mérité de rester anonymes. »
Voici la réponse apportée par Philippe Gautier, de la CGT-spectacle.
« A l’appel des syndicats du spectacle CGT et des territoriaux (Ville de Nantes et Angers-Nantes-Opéra) CGT plusieurs dizaines de personnes ont manifesté jeudi 2 juin à 18h aux portes de l’Opéra de Nantes avec l’objectif affiché de perturber la soirée organisée par le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD). Finalement, compte tenu des problèmes de sécurité posés par notre intrusion, la Direction de l’Opéra a finalement annoncé l’annulation de la soirée.Cette action ne visait pas en particulier les organisateurs de la soirée ni son thème mais les organisations d’employeurs interprofessionnelles en général qui, quelques jours auparavant et à l’unanimité, ont rejeté l’accord - unanime lui aussi - adopté par les partenaires sociaux du spectacle le 28 avril dernier sur l’indemnisation chômage des intermittents du spectacle.On ne peut que se réjouir de voir des organisations d’employeurs telles le CJD prôner l’idée de « mettre l’économie au service de l’Homme » ou de « transformer la société ». Force est de constater qu’en France le Patronat – dont plusieurs représentants locaux notamment du MEDEF faisaient partie des invités de jeudi soir – se distingue par une position d’opposition dure aux intermittents du spectacle et aux organisations syndicales qui les représentent majoritairement, au premier rang desquelles la CGT.Depuis des années nous n’avons de cesse de répéter ce que tous les rapports officiels ont confirmé les uns après les autres : les intermittents semblent représenter un coup pour le régime interprofessionnel d’assurance chômage qui est largement compensé par les retombées importante de leur activité sur l’ensemble de l’économie française. Cet argument de bon sens étant brutalement balayé par les représentants du Patronat, il ne faut pas que ses membres s’étonnent que ceux qui en pâtissent manifestent vigoureusement.Il est regrettable que les artistes et technicien du spectacle doivent se mobiliser très régulièrement pour s’opposer aux projets du MEDEF, de l’UPA et de la CGPME et que ces mobilisations aboutissent à l’annulation de nombreuses manifestations culturelles. Malgré tout nous n’avons toujours pas trouvé de formes d’action qui remplacent ce rapport de force direct dont nous sommes les premières victimes collatérales.Par ailleurs, je n’ai pas assisté personnellement aux incidents cités dans le communiqué du CJD qui auraient concerné une personne handicapée et une mère de famille accompagnée de ses enfants. S’ils se sont effectivement produit, ils sont effectivement injustifiables et ne correspondent pas aux valeurs de respect que nous prônons dans le mouvement syndical. Autant que possible nous tentons de maîtriser les personnes qui participent aux manifestations auxquelles nous appelons. Il faut dire aussi que ce soir-là nous avons été rejoint par des personnes qui ne se revendiquaient pas de la CGT et qui se sont maintenues dans le théâtre après que nous ayons appelé nos camarades à quitter les lieux.»