Publié : 17 avril 2024 à 19h26 par Maxime MARTINEZ

Bruno Rossetti raconte l'histoire de l'immigration italienne à St-Nazaire

INTERVIEW - Dans son dernier ouvrage, "La Little Italy de Saint-Nazaire" (Geste éditions), Bruno Rossetti raconte l'immigration italienne qui est venue aux Chantiers de l'Atlantique pour construire deux paquebots mythiques : l'île-de-France et le Normandie.

Bruno Rossetti au micro de RCA
Bruno Rossetti au micro de RCA
Crédit : Maxime Martinez / RCA

Qu'est-ce que "la Little Italy de Saint-Nazaire" ? 

Alors la Little Italy de Saint-Nazaire, c'est quelque chose d'exceptionnel pour l'ouest de la France. C'est en fait un regroupement d'Italiens sur un quartier précis qui était le quartier de Méan-Penhoët entre la première et la deuxième Guerre mondiale. De sorte que la densité de la population transalpine sur ce quartier pouvait vraiment former et rentrer dans les critères d'une Little Italie, comme c'était le cas à New York, ville d'origine du terme “Little Italy”. 

Vous racontez dans votre livre comment l'immigration italienne a été importante dans la France de la fin du 19e siècle, début du 20e siècle et jusqu'à la 2nde Guerre mondiale. À Saint-Nazaire, c'est principalement entre les 2 guerres. 

Oui alors les migrations comme vous l'avez très bien dit est forte partout (en France) On trouve des mosaïstes, des maçons. Il y en a eu à Saint-Nazaire avant et après cette période-là. Mais la spécificité de Saint-Nazaire c'est qu'en plus de cette migration classique pour l'ensemble de l'Hexagone, il y a eu une immigration spécifique liée à la construction au départ d'un bateau majestueux qui s'est appelé Ile de France. 

Écoutez l'interview de Bruno Rossetti ►

Alors pour ce livre, vous prenez l'exemple de vos grands-parents, est ce que vous pouvez un peu me raconter leur histoire, leur parcours et comment ils sont arrivés à Saint Nazaire ? 

Entre mes grands-parents, c'est deux régions d'Italie différentes. Mon grand-père est issu du Sud de l'Italie, la Sardaigne pour être précis, et ma grand-mère du Nord de l'Italie, le Piémont, l'Italie étant un pays nouveau hein, depuis 1860 seulement. Donc une unification qui a été juste un petit peu avant leur naissance (le Risorgimento, ndlr). En fait, l'Italie, au moment de sa création, était dans une pauvreté et une démographie forte. Ce qui fait que mon grand-père en Sardaigne, à 11 ans, est parti à Rome avec un vendeur de chapeaux et après il est remonté dans l'Italie du Nord. Il s'est retrouvé à Gênes, en Ligurie. Là, il a rencontré ma grand-mère qui elle aussi est partie du Piémont et s'est retrouvée chez une marquise à Gênes. Et il y a eu cette rencontre déjà, dans cette ville de Gênes et après bien l'épopée liée à cette migration qui allait se faire vers la France et en particulier Saint-Nazaire. 

Il y a un élément déclencheur tout de même après la Première Guerre mondiale, la marche sur Rome, l'arrivée d'un pouvoir fasciste en Italie. 

C'est vrai que l'Italie à cette époque, rencontrait une grande difficulté à la fois politique et économique, donc c'est dans ce contexte que se situe cette histoire. Au même moment, la France recherchait de la main d'œuvre, car ce bateau qui est devait se construire, île de France, était plus grand que tous les autres, donc il fallait en trouver de la main d'œuvre supplémentaire. Et des émissaires étaient de Saint-Nazaire, étaient venus sur les ports de Gênes et de la Spezia, pour essayer de trouver des personnes supplémentaires. Et c'est là qu'ils ont rencontré mes grands-parents qui ont fait le pas de se dire “bon, on va partir”. Au départ, “on va partir pour la construction du bateau pour environ trois ou quatre ans”, avec l'idée de revenir en Italie après.  

Comment vos grands-parents arrivent à Saint-Nazaire ? Comment ça se passe l'arrivée en France ? 

C'est assez rigolo. Dans le problème de l'immigration, évidemment, quand on part dans un pays étranger, c'est sans connaître la langue. Ils ne connaissaient aucun mot de français. Et surtout, mon grand-père, plus que ma grand-mère, avait une énorme difficulté, parce que venant de la Sardaigne, il avait du mal à parler l'italien parce qu'il parlait le Sarde (une langue très différente de l’italien ndlr). Il a été 8 jours à l'école dans sa vie. Quand ils sont partis, on leur a dit : on va vous fournir le logement et on vous donne le billet de train. Donc ils partent en train de de Gênes, ils franchissent le tunnel de Bardonecchia - Modane qui permet de rentrer en France, et ils arrivent Gare de Lyon à Paris. Là pour eux la totale confusion parce qu'il”s entendent dans les haut-parleurs "Gare Saint-Lazare par le métro”. Mais pour eux, ne connaissant pas un mot de la langue française, et comme phonétiquement Saint-Lazare et Saint-Nazaire, ça se ressemble : ils ont compris que c'était la direction de Saint-Nazaire, donc les voilà partis dans le métro. Ils se sont dit “tiens, c'est quand même curieux que l'océan soit aussi près de Paris, on ne pensait pas que c'était si près.” En arrivant gare Saint-Lazare, ils cherchaient les chantiers de Penhoët (aujourd’hui chantiers de l'Atlantique) Bon, ils ont compris que ce n'était pas là et ils sont arrivés après à la vraie gare de Saint-Nazaire par la suite. 

Vos grands-parents arrivent donc à Saint-Nazaire ? Vous l’avez dit, cette Little Italie s'installe à Méan-Penhoët ? À quoi il ressemble ce quartier ? 

C'est un espace. Composé de trois catégories de de logements, le plus gros, c'est l'hôtel des célibataires, c'est un ensemble d'immeubles qui avait été préalablement construit en 1900 et qui avait d'ailleurs logé les Américains qui avaient des bacs à Saint-Nazaire en 1917. Mais après, ce bâtiment a été un peu remodelé pour en faire des petits appartements dans la prévision d'accueillir des familles justement. Le mot hôtel des célibataires est quand même resté. 

Autour de ces bâtiments, il y avait des maisons à étage qu'on appelait les maisons de la CGT, la compagnie générale transatlantique. Et entre les 2, petit à petit, des petites maisonnettes ont été construites et tout cet ensemble est dans le quartier de Penhoët et formait le secteur du Pré-Gras parce qu'à auparavant c’était une zone grasse, une zone marécageuse et c'est là que tous les Italiens qui allaient construire ce bateau ont été rassemblés. Dans ce quartier, on avait cette une population qui était à plus de 50% transalpine. 

C'est quelque chose qu'on a du mal à imaginer aujourd'hui parce que la physionomie de Saint-Nazaire a totalement changé depuis la 2nde Guerre mondiale et les bombardements sur la ville. Il faut imaginer déjà qu'à l'époque la gare de Saint-Nazaire était à la place du théâtre actuellement et pas à la place où elle est actuellement, donc pas très loin en fait de là où vont s'installer les Italiens à côté des chantiers. 

Exactement. 

Qui vient s'installer ici ? Sociologiquement, ces Italiens qui arrivent en France, qui sont ils ? Et d'où viennent ils en Italie ?  

Alors ? Ils sont tous recrutés dans la région de la Ligurie, mais ils n'ont, comme vous voyez le récit, le je le montrais pour mon grand-père. Ils n'étaient pas forcément tous originaires de la Ligurie, mon grand-père étant par exemple du de la Sardaigne, d'autres étaient des Siciliens, d'autres pouvaient être des piémontais, des lombards. Il y avait une émigration interne en Italie en direction du Nord de l'Italie. 

C’est la région la plus riche d ce pays, avec tous les ports et toutes les industries qui s’y trouvent et même encore aujourd'hui dans la partie nord de l’Italie. 

Cette immigration italienne, quand elle arrive en France, à quoi se raccroche-t-elle ? 

Elle se raccroche à deux choses. Déjà la nourriture. Les Italiens continuaient à mange comme ils se nourrissaient en Italie. Et ça a participé à la diffusion en France de la gastronomie italienne. Deuxième chose : le sport. Le football et le cyclisme. Ces italiens immigrants ont été gâtés en suivant l'actualité sur la période 1930 à 1940 car l'Italie a été deux fois championne du monde, mais aussi avec une Coupe du monde en France. Au niveau du cyclisme, l'année pile où ils sont arrivés, en 1924, c'est Ottavio Bottechia qui a qui gagne le maillot jaune. C'est le premier italien à remporter le Tour de France. Il le gagne en 1925 aussi et beaucoup ont connu dans les Français après Gino Bartali qui aussi a gagné le Tour de France en 1938. Ce que je ne savais pas en commençant à écrire le livre, c’est que le Tour de France en 2024, allait partir pour la première fois de son histoire de Florence. Donc c'est une très belle histoire. C'est un beau clin d'œil, c'est un alignement des étoiles. Je dirais, et ce qui fait que dans le livre vous allez pouvoir aussi découvrir cet aspect puisque j'ai pu obtenir une très belle photo fournie par les organisateurs du Tour de France. 

C'est une immigration qui vient donc travailler au chantier de l'Atlantique ? Votre grand-père était riveteur, c'est ça, qu'est-ce que c'est ? 

Pour être précis, il était teneur de tas, mais ça rejoint le métier du riveteur. Avant la soudure, pour construire les les paquebots comme l'île de France, il fallait riveter les tôles. Qu'est-ce que c'est que le rivetage ? Il fallait donc que quelqu'un chauffe un rivet, c'est une sorte de gros clou, à une couleur rouge cerise qui représente à peu près 950 degrés, et le chauffeur amenait ce rivet vers 2 personnes de chaque côté de la tôle. D'un côté, il y avait le frappeur, ce qu'on pourrait dire, le riveteur et de l'autre côté, il y avait la personne qui faisait la contreforce, qui était le teneur de tas, c'est à dire qu'il tenait un tas et quand le frappeur a frappé dessus, il écrasait la tête chaude du Rivet et en en se refroidissant. Tout cela se contractait et ça formait l'étanchéité entre les tôles. Alors par exemple, Titanic a été construit comme ça. Île de France et Normandie aussi. Et après ? Il y a eu l’arrivée de la soudure. Donc mon grand-père au début arrive comme teneur de tas. Cela étant, il a fait les 3 métiers, il a aussi chauffé les rivets et il a aussi été le frappeur de rivets. (Ndlr : la technique du Rivetage est aussi la technique qui a été utilisée par Gustave Eiffel pour construire la tour Eiffel). 

Les Italiens de Saint-Nazaire vont construire des paquebots mythiques au possible, l'île de France et le Normandie exactement. Vous pouvez un peu nous raconter un peu l'histoire de ces paquebots ? 

Ce sont les bateaux les plus fantastiques pour la France, parce que ces bateaux-là déjà étaient très majestueux par leur allure. Quand on les voit dans le livre hein, ce sont des bateaux mythiques. On pourrait rajouter après la guerre il y a eu le France aussi, comme bateau mythique. Mais avant guerre ces deux là représentaient vraiment tout l'art aussi de la France. En 1925, il y avait eu le salon de l'art déco à Paris et le l'île de France allait recevoir toutes les décorations, toutes les peintures, les sculptures possibles qui pouvaient agrémenter le navire qui était une illustration de ce qui se faisait le mieux au niveau artistique à l'époque. Normandie ça a été pareil. Ce sont des bateaux qui étaient extrêmement bien conçus et d'une beauté sensationnelle. Après, leur parcours a été complètement différent. Ile de France a un parcours très long. Il a survécu à la 2nde Guerre mondiale et on l'a appelé après la guerre “le Saint Bernard des mers”. Beaucoup connaissent l'histoire de Normandie qui a une vie à l'inverse très courte et qui a fini sa carrière justement dans la ville de New York, là où il y avait cette grande “Little Italy" 

Une fois ces bateaux construits, qu'est ce qui va mettre fin à la Little Italy de Saint-Nazaire ? La guerre ? 

Oui. L'arrivée des Allemands a mis fin à cette “Little Italy”. Parce qu'en 1940, quand les soldats allemands sont arrivés, ils ont d'abord réquisitionné l'hôtel des célibataires pour y mettre des soldats. Donc mes grands-parents qui logeaient au 3e étage d'un des immeubles se sont retrouvés dans une petite maisonnette. Ça a duré quelques courtes années : mes grands-parents sont restés jusqu'après, même pendant les bombardements du 28 février 1943. Mais toutes tout cet ensemble, aussi bien d'immeubles que de maisons a été malheureusement rasé. Quand les Allemands sont arrivés, ils ont donc chassé les Italiens et ça a été l'exode à droite à gauche. Peu d'Italiens sont revenus sur place, comme mes grands-parents sont revenus. Et ça a été la fin de cette Little Italy, de 1924 jusqu'en 1940. 

Qu'est ce qu'il en reste aujourd'hui de cette l'Italie ? 

Le lecteur après avoir lu le livre peut se déplacer sur place et découvrir des choses sensationnelles liées à cette histoire. A Méan-Penhoët, on peut déjà découvrir la maquette de ce quartier, préservée dans les sous-sols d'un bunker. Vous pouvez aussi vous promener dans Méan-Penhoët. Autre chose qui peut être vu aussi liées à la construction de ces bateaux, et donc l'histoire de la Little Italy, c'est la forme Joubert qui est un monument internationalement connu et qui mérite d'être vu. 

Et finalement, cette histoire va aussi avoir un écho national. 

Au même moment que j'ai commencé à raconter cette histoire, j'ai pu rentrer en contact avec une une association qui est à Paris et qui travaillait par rapport au même sujet depuis 2018 sur l'émigration italienne en France. Cette histoire de Saint-Nazaire rentre avec l'histoire de l'émigration italienne d'une manière générale sur le territoire français. Un monument est en train de se construire à Nogent-sur-Marne. Il va aussi raconter l'histoire de Saint-Nazaire. 

Bruno Rossetti fera trois séances de dédicaces dans la région : les 20 et 21 avril au Salon des Antiquaires à la Base Sous-Marine, le 3 mai au Centre E.Leclerc de l'Immaculée et le 11 juin à Piriac, pour la semaine italienne.


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